Portrait G

Kaléidoscopie. Au centre, une petite fleur à 7 pétales lumineux cernés de noir entourée d’une autre fleur plus large dans les mêmes tons. Sur l’extérieur, un motif de fleurs et de papillons rose et gris.

Quand elle est arrivée, elle s’est d’abord terrée dans son nouveau chez elle. Portes et fenêtres bouclées, téléphone coupé. Recroquevillée sur le canapé, emmitouflée dans une couverture, elle laissait les heures, les jours s’écouler, interrompue par quelques déplacements incontournables : boire, manger, toilettes. Le corps, ce traître, n’en fait qu’à sa tête. Et puis la pénurie, plus rien dans les placards. Elle a donc déplié ses jambes qui commençaient à rouiller. Elle s’est déroulée, a retrouvé toute sa longueur telle un insecte qui se déploie. Ou une fougère au printemps. Elle a effectué quelques mouvements, des épaules, du bassin, se dégourdir les jambes avant de faire ses premiers pas dans la ville.

La ville… Ils sont loin ces premiers jours où elle comptait le nombre de pas à chaque sortie, chaque jour un peu plus loin. Maintenant, elle se sent chez elle ici. Elle connaît les sons, les odeurs des quartiers qu’elle traverse. La plupart du temps, ses pas sont automatiques. Elle aime cette sensation d’entrer en résonance avec le rythme de la ville. Accélérer dans les couloirs du métro. Zigzaguer, dans les rues bondées, entrer dans le flux, éviter les obstacles du reflux des gens pressés. Elle aime que ce soit fluide. Dans cet anonymat, les accidents de parcours, même rapides, même légers la troublent.

Il lui arrive encore de découvrir de nouveaux recoins, des rues jusqu’ici inexplorées qui complètent sa carte mentale de la ville, comblent les manques, créent des passerelles. Que ces moments soient liés au hasard ou pas, ils lui procurent une grande satisfaction, comme une friandise à savourer.

Aujourd’hui est un de ces jours d’exploration désorganisée. Elle a pris le bus pour descendre à un arrêt inconnu, à la périphérie de la ville. Elle a beau marcher d’un pas décidé, le tempo est différent dans les espaces inconnus. Ici la fluidité laisse place aux salves et aux saccades, aux détours et aux retours en arrière, parfois. Un parcours erratique confié au hasard. En ces occasions, ce sont les détails qui la guident à travers la ville. Un graffiti qui attire son regard, un brin d’herbe folle qui perce le béton, une porte entrouverte, un objet incongru.

Après une matinée d’errance, elle passe à la seconde phase de son programme : place à la cartographie. Elle a déniché ce site Internet alors qu’elle cherchait une chasse aux trésors dans le quartier nord de la ville. Une carte participative du monde. Elle s’y est plongée avec passion, parcourant les endroits qu’elle avait sillonnés par le passé jusqu’à les incarner. Elle ajoutait par-ci par-là des détails glanés au cours de ses escapades. Et maintenant, elle se livre à un travail de fourmi. À chaque nouveau recoin de la ville qu’elle rencontre, elle accorde un temps d’errance plus ou moins long selon l’inspiration. Ensuite elle le dissèque, rentre les données. Un arrêt de bus, les horaires, un noisetier, une poubelle, un nid de poule à réparer, un portail au charme particulier, un local à louer, une architecture remarquable. Elle renseigne le lieu, les coordonnées GPS, ajoute une photo pour chaque objet.

Il lui semble qu’ainsi seulement elle fera partie de la ville. Rue après rue, synapse après synapse. Un nouveau territoire qu’elle fait sien, avant de reprendre la route.

Portrait G, femme des villes

Kaléidoscopie longitudinale (2017)

Série « en action »

< Portrait FPortrait H >

4 thoughts on “Portrait G3 minutes de lecture

  1. Tu vas me trouver bizarre mais ça me fait penser à mes petits élèves lorsqu’ils arrivent dans la classe jusqu’à leur sortie trois ans après. Au début tout les agresse, ils se recroquevillent et puis au fur et à mesure ils deviennent des experts de la classe et de l’école. J’ai aussi repensé à mes différents déménagements. A la sensation de bien être que j’avais dans ma ville natale et surtout dans la forêt de Sénart. J’en connais les moindres recoins. Nous passions nos vacances entières à parcourir les sentiers à vélo. A cette époque pas de GPS. Nous ne disposions que de notre mémoire.

  2. Coucou Elfe, je ne trouve pas ça bizarre, au contraire. C’est exactement l’esprit de ce que j’avais en tête, le recroqevillement face à l’inconnu, la personne qui s’adapte, qui se redéploie, qui prend confiance et qui prend place dans son territoire.
    C’est vrai, nous sommes nées au siècle dernier, sans GPS, mais ça n’empêche pas de trouver nos chemins, nos repères.

  3. Une découverte pour elle tout en pensant aux autres. Elle cartographie pour elle, et pour les autres. Elle s’amuse tout en le partageant aux autres… Un va-et-vient qui nourrit une personne et une communauté…

  4. Bonsoir Cindy, merci pour ton commentaire ! C’est vrai qu’à travers cette carte participative du monde, il y a cet échange entre l’une et les autres, donner et se nourrir.
    J’adore voir comme un même texte fait résonner des choses différentes selon la personne qui le lit !

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