Portrait J

Kaléidoscopie qui fait penser à un hublot avec vitrail. Le pourtour ressemble à une couronne de fin d’année avec 7 guirlandes vertes en demi-cercle alternant avec 7 petites fleurs roses. Le tout est strié de bandes vertes. Le pourtour de la couronne est une couronne de guirlandes vertes ornées de fleurs bleues pointant vers l’intérieur et alternant avec de minuscules fleurs jaunes. Le centre est un cercle lumineux avec un prisme qui point vers la personne qui regarde.

Un pas, deux pas, trois pas. Att… ention la voilà. Quatre pas, cinq pas, six pas, sept pas. Hop… elle s’accroche au trou de la chaussée… repart. Elle marche d’un pas léger dans la rue, guillerette. Huit pas, neuf pas, dix pas, onze pas, douze pas… Mer… credi elle reviendra.

Écoutez la ballade de la femme qui trébuche.

Elle marche comme avec bégaiement. À certains endroits, à certains moments, son débit est modifié. Le rythme brisé. Le débit s’allonge un instant, s’accélère le temps de 2-3 pas où elle rattrape son équilibre puis elle reprend son rythme de croisière.

Laissez-moi vous raconter l’épisode du coup de reins spectaculaire. Un jour de départ, tout était installé, équipage comme bagages. Ne manquait plus que le gonflage des pneus avant largage des amarres. Elle se rendit à la station d’essence la plus proche, un petit plein au passage. Au moment d’aller chercher les fils de gonflage elle glissa sur une mare de gazole. Elle sentit son pied riper. Elle vit le paysage chavirer. Elle évalua son centre de gravité en mouvement. Juste avant que le balancier ne dépasse le point de bascule – elle était presque à l’horizontale – elle mit un coup de rein monumental. Renversement du mouvement. Impulsion parfaitement dosée, elle se rétablit sous les yeux ébahis et néanmoins amusés de ses compagnes et compagnons d’épopée.

Un pas, deux pas, trois pas. Att… ention la voilà. Quatre pas, cinq pas, six pas, sept pas. Hop… elle s’accroche au trou de la chaussée… repart. Huit pas, neuf pas, dix pas, onze pas, douze pas… Mer… credi elle reviendra.

Elle sait que le pied ou le coin des hanches se prendra. À un pied de table, une poignée de porte, au dossier d’une chaise, à une marche plus ou moins haute que les autres, à une taupinière, à une bouche d’égout, à l’épaule d’une passante, au pied un peu plus grand d’un passant, à la jointure de deux pavés, à l’arrière-train d’un chien couché sous une table, au sac à dos posé à peine dans le passage.

Elle connaît par cœur la sensation : retenue, empêchée, suspendue, rappelée ralentie, déséquilibrée. Elle sait les points d’impact, les bleus, les roses, les jaunes, les violets. Le petit point plus sensible les jours d’après. Il dit la vitesse de sa marche au moment de l’accrochage.

Un pas, deux pas, trois pas. Att… ention la voilà. Quatre pas, cinq pas, six pas, sept pas. Hop… elle s’accroche… repart. Huit pas, neuf pas, dix pas, onze pas, douze pas… Mer… credi elle reviendra.

Elle a trébuché en apprenant à marcher. Elle trébuchait avant de porter des lunettes. Elle trébucha par trop de presse. Elle trébuche par distraction. Elle trébuchera par conviction. Elle aura trébuché une dernière fois avant de trépasser.

Un pas, deux pas, trois pas. Att… ention la voilà. Quatre pas, cinq pas, six pas, sept pas. Hop… elle marche d’un pas léger dans la rue, guillerette. Huit pas, neuf pas, dix pas, onze pas, douze pas… Mercredi, elle reviendra.

Et si elle ne trébuchait pas ?

Portrait J, femme qui trébuche

Kaléidoscopie longitudinale (2021)

Série « en action »

< Portrait IPortrait K >

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *