Portrait O

Kaléidoscopie complexe. 7 cercles sur le milieu forment à l’intérieur une étoile à 7 branches incurvées. Sur l’extérieur, une guirlande bleu foncé et des fleurs qui pointent de rose entre les cercles. Dans les cercles, des traits pyramidaux qui se terminent par un petit carré noir. Des traits pointent du comment des cercles vers le cœur lumineux de l’étoile centrale.
Portrait O

« Il était une fois » dit-elle en reproduisant l’ancestrale musique qui accompagne ces mots. La formule lancée, l’histoire se déroule inexorablement jusqu’à sa fin. Plus moyen de rebrousser chemin, elle doit naître, vivre et se clôturer. Non pas mourir ; racontée, elle essaime. Nouvelles idées et schèmes de pensée.

Il était une fois… une petite fille dans un grenier. La petite fille habite au dernier étage d’une maison au bord de la rivière. Elle a 5 ans, peut-être 7. Sur le palier, 2 portes : l’appartement et le grenier. Le grenier est lumineux, il sent à peine la poussière. Il est de fer et de bois. De bois, la porte, le plancher brut, les tasseaux qui séparent le grenier des parents de ceux des voisins, les poutres soutenant le toit. De fer, le grillage à poule en guise de murs et de portes. À peine perceptible, il dessine symboliquement les frontières.

Le grenier des parents est le territoire de la petite fille. Quand les adultes viennent, le grenier est tout autre. Elle, elle marche sur les bonnes lattes, la combinaison spéciale pour entrer dans son grenier secret.

Elle vient en exploration. Elle entre, pose son regard sur la pièce, repère un recoin qui l’appelle. Elle y accourt. Elle découvre un nouveau carton. Elle contourne, elle saute-par-dessus, elle soulève, elle écarte, elle déplace. Un fort surgit de ce nouvel agencement. Elle escalade.

Du haut de son fort elle regarde les territoires lointains, de l’autre côté des grillages. Un rouleau d’essuie-tout vide en guise de longue-vue, elle repère sur une étagère du grenier des voisins, ceux du rez-de-chaussée, un jouet qu’elle voudrait toucher. Elle s’aperçoit que son fort est entouré par les crocodiles. Pas de lattes pour les éviter, elle imagine une liane et saute sur le grillage. Doigts de mains, doigts de pieds arrimés, elle peut maintenant grimper, enjamber le tasseau, saisir la poutre, se balancer vers le grenier-des-gens-du-rez-de-chaussée et saisir l’objet de sa convoitise. Elle savoure sa victoire et repose le jouet à sa place. Un autre objet inconnu l’attire maintenant vers le grenier des voisins du premier. Ils sont vieux et gentils, les voisins du premier, et leur grenier regorge de surprise. C’est parti pour l’aventure !

Dans son grenier de jeux, elle s’invente des histoires.

Elle s’installe dans son fort avec ses jouets préférés. Un arbre-maison avec de petits personnages : une famille, des amis, un chien, une voiture rouge, une tente de camping. Tout ce petit monde s’évade pour des vacances joyeuses. Le personnage à moustache noire dans un costume rayé bleu lui échappe des mains. C’est le papa. Elle en a besoin pour la balade au bord de la mer. Il roule dans la rainure d’un carton. La petite fille plonge sa main dans le carton. Elle cherche le petit personnage de résine, dur et lisse sous ses doigts. Ses doigts rencontrent quelque chose de mou et doux. Elle saisit. Elle tire. Elle tire un peu plus fort pour passer l’objet à travers le rebord du carton. C’est une poupée. Une poupée de chiffon avec des cheveux de laine orange. La poupée porte une longue robe rouge resserrée aux manches. Sur la tête, un chapeau pointu. Il retombe sur les épaules de la poupée. Sur son visage, un sourire est dessiné.

Dans ses mains, la poupée. La petite fille raconte : « il était une fois… ». Sa voix reproduit la tonalité de fausset qu’elle a entendu dans les dessins-animés. « … Je ferai attention, maman, je ne parlerai pas aux inconnus dans la forêt ». Rapidement, elle cesse de réciter. Elle joue l’histoire. Elle fredonne le départ insouciant vers les bois sombres. Elle s’exclame de joie devant le parterre de muguet, « Oh, un autre ! ». L’herbe foulée trace son chemin dans la forêt. Elle rencontre un loup. Il cueille, lui aussi les fleurs blanches. Il et elle se saluent, rient de la coïncidence. Il dit qu’il va offrir les fleurs à sa grand-mère. « Oh, moi aussi je veux offrir mes fleurs à mère-grand. ». Elle et il se saluent. Elle continue sa cueillette, celui-ci est si blanc ! Et celui-là sur le point d’éclore. Ce brin-ci sent si bon ! Encore un… Encore un !

Le panier plein de clochettes et le cœur de joie, elle repense à sa mère-grand. Elle reprend sa route avec hâte. Elle arrive à la maison de ses grands-parents. Elle toque.

Dans le grenier, la petite fille a retourné la poupée. Sous la jupe rouge, deux autres personnages. La grand-mère – ou est-ce le grand-père ? – porte un tissu fleuri. Une voix doucereuse l’invite à entrer dans la chaumière. La petite fille au chaperon rouge s’approche. Elle ne reconnaît pas sa mère-grand. Elle regarde ses lunettes familières. Elle tend son panier et ses présents. De sous le chapeau de l’ancêtre, le loup surgit subitement. Il est bleu. Il a des oreilles pointues. Il sourit. Et la dévore.

La femme continue de conter : « Il était une fois… une jeune femme dans une cave… »

Portrait O, femme qui raconte

Kaléidoscopie instantannée (2020)

Série « en action »

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