C’est une femme qui danse.
Comme ça, pas en permanence. Quelquefois. On ne saurait dire d’où ça vient, elle danse.
Pas dans les clubs de danses de salon, le country, ça non ! Elle n’apprécie guère les pas appris par cœur, la répétition du geste, la recherche de la précision de la chorégraphie, lorsqu’il s’agit de danse.
Elle danse les bonnes nouvelles et les poussées de joie, de folie – telle un chat. Elle danse comme un rituel autour de la table, du salon, de la cuisine, selon l’humeur, l’endroit, la place, le jour où ça arrive. Elle danse souvent seule au début. Qu’un jeune enfant passe, et il n’est pas rare qu’il entre dans la danse, qui devient ainsi un jeu, une course-poursuite en boucle. La poursuiveuse poursuivie et vice-versa. Un chien se trouve dans la pièce, il accourt à son tour, la danse devient ronde, les cadences varient selon la longueur des jambes, la vélocité de la foulée. De temps à autre, un enfant un peu plus âgé ou des adultes se laissent gagner par l’euphorie et c’est une fête qui se danse dans ces moments-là. Tantôt des cris, tantôt des chants, toujours des rires, viennent rythmer les pas.
Par contre elle n’aime pas danser au pas militaire. Pas danser dans les cours de chez Anne&Marie. Danser toutes et tous en ligne – surtout toutes – face à un miroir, non merci !
Ce qu’elle aime, c’est danser à la tombée de la première pluie d’été ; où qu’elle soit, sortir dès que les premières gouttes tapent leur appel à son oreille. Quelques secondes à défaut de mieux, ou de longues minutes riant quand elle le peut. En ville dans la rue, dans une cour, ou dans un jardin, à la campagne au milieu de rien. Danser, danser sous les gouttes froides dans l’air chaud. Danser la fraîcheur et danser l’énergie de l’été. Danser les gouttes qui viennent nourrir la terre. Danser l’humidité, la vapeur, la sueur diluée. Danser nue les soirs de lune, danser la danse de la brume. Une danse qui sautille, les pieds ancrés dans la terre, les pieds nus au moins dans l’esprit.
Danser en boite, c’est l’angoisse ! Tous ces corps compressés, qui se touchent sans se chercher ou alors à sens unique ou encore réciproquement mais à l’aveuglette. Ne pas danser sur des rythmes hypnotiques, sous les regards jaugeants. À moins de s’y soustraire.
Danser en soirée, entourée de regards amis qui encouragent à se trouver soi-même. Danser pour un instant à l’unisson et se retrouver ensuite face à soi-même. Danser pour le plaisir des mouvements partagés, la danse comme liant, la danse comme souvenir commun sur des musiques connues des uns, des unes et des autres.
La danse classique, ce n’est pas pour elle. Une danse faite de grâce mais une grâce faite d’efforts, du corps à tort et à travers, des pointes de pieds malmenées, des gestes attendus, cent fois, mille fois répétés jusqu’à la courbure voulue.
Elle préfère les danses plus intuitives, une danse serpentine pour se sentir désirée et mutine, magnifique, ondulante. Une danse costumée de paillettes et de tissus fluides pour créer des arabesques mouvantes. Une danse ample pour se sentir s’envoler. Une danse envoûtante deux à deux menée. Une danse tournoyante pour s’enivrer, qu’elle soit seule, en groupe ou en duo. Une danse qui ne s’arrête plus, des claquettes pour les escaliers, une danse contemporaine dans la foule des gares ou des longs couloirs bondés, une danse des doigts sur le clavier. Une danse des mots, qui parle de danse et d’une femme.
Portrait W, femme qui danse
Kaléidoscopie sagittale (2020)
Série « en action »