Dans l’obscurité, une sensation d’éveil imprécise. Un palpitement d’abord. Faible. Plus fort. Si fort que le corps tremble à l’unisson des pulsations ; son être, comme celui d’un oisillon transi. Elle ressent ses membres engourdis, ankylosés. Elle reconnaît la flamme qui couve quelque part en elle et réchauffe peu à peu ses muscles. Elle sent grandir la conscience de son corps en même temps qu’elle en retrouve l’usage. Elle bouge les orteils du pied droit, ceux du pied gauche, fait rouler ses épaules en arrière à plusieurs reprises, déroule doucement son dos et étire ses membres l’un après l’autre. Elle sent sur sa peau le contact d’un drap de coton et la chaleur légère d’une couette duveteuse. Elle ouvre des yeux étincelants.
Elle se trouve à côté d’un corps immobile, dont elle perçoit la fraîcheur. Il est à une dizaine de centimètres de son flanc. Son regard se perd sur l’angle d’une omoplate, un grain de beauté, la courbe des fesses, celle des mollets, les variations du grain de la peau. Des détails qui lui donnent envie d’effleurer l’homme endormi. Ou de l’attraper à pleines mains. Elle n’en fait rien. Bercée par sa respiration régulière, elle plonge dans la rêverie.
Elle caresse distraitement le collier de pierres œil-de-tigre qu’elle porte jour et nuit. Sur la peau de son cou, une trace brune dessine une ombre discrète. Son regard glisse sur la nuque de son amant. Elle repense à la première fois qu’elle l’a vu. Il était de dos, assis à quelques sièges d’elle dans un train. Son regard avait été attiré précisément par cette nuque. Était-ce sa forme, sa carnation, les ondulations de la peau alors qu’il parlait à une interlocutrice qu’elle ne parvenait pas à voir ? Une curiosité était montée en elle. Elle l’avait longuement observé de loin. Puis avait saisi la première occasion de l’aborder, brûlant de faire sa connaissance.
Leurs premiers échanges furent cordiaux, c’est-à-dire « prudemment polis », sans chaleur excessive, ni dans le regard, ni dans la voix, ni dans les gestes. Ils s’étaient revu.e.s sporadiquement, se saluant au terminus avec un petit sourire. Certains soirs, le hasard d’un métro en retard, d’une réunion qui se termine plus tôt les avaient amené.e.s à se rencontrer derrière les tourniquets. Ils faisaient le trajet jusqu’au quai ensemble, conversant de tout et de rien. Subrepticement, elle était montée toujours au même endroit, lui avait pris plus souvent le train de 17h58. Délices de l’attente et joie de plus en plus flagrante des retrouvailles.
Un soir, ils s’étaient rendu compte, sur le chemin commun du retour, qu’ils marchaient à l’unisson.
Ils s’étaient arrêtés. S’étaient regardé. Un crépitement.
Ils s’étaient embrassés. À couper le souffle.
Quand elle y repense, elle peut ressentir les différents foyers : ses joues, deux boules rouges au contact tiède, une douce chaleur dans son ventre et au creux de son sexe, son esprit comme des braises qui couvent, ardentes en un souffle, ses mains qui déclenchent l’incendie soudain à leur contact.
Lorsqu’elle s’était abandonnée, elle s’était consumée sur place, emportant avec elle au paroxysme de leur étreinte l’homme, leur histoire, son passé. Une combustion fulgurante et totale. Ensuite le silence, la lassitude habituelle. Elle s’était endormie sans jeter un regard à l’homme encore tiède.
Tout est maintenant derrière elle comme une mue qu’elle aurait quittée et laissée sur place avant de prendre un nouveau départ.
Au moment où elle s’élance vers cette journée qui débute, on aperçoit fugacement un oiseau chatoyant s’échapper de son ombre en direction du soleil.
Portrait X , femme phénix
Kaléidoscopie instantanée (2021)
Série « animale »