Elle est née dans une ville coupée en deux par la Marne.
Elle a fait ses premiers pas dans la Venise de son coin de monde.
Au pied de l’appartement coulait la rivière.
Elle a passé ses dimanches sur les ponts et les passerelles.
Elle a rêvé d’en construire.
Elle a couru derrière les canards en bord d’écluse.
Elle a appris à faire du vélo sur les berges de la fausse rivière,
Et à nager à la piscine en plein air, dans la vallée.
Elle a sauté gaiement dans les flaques.
Elle a déménagé en amont de la rivière de sa prime enfance.
Dans le jardin se trouvaient deux sources, une mare et un puits.
Elle a grandi près d’un ru qui rime avec poireau.
Elle a vu les champs noyés sous la crue
à la confluence de la rivière et du rû.
Elle a joué des aventures de pirates et de Robinson sur le pont de son ruisseau.
Elle s’est baignée au milieu des ragondins et des alevins.
Elle s’est fait emporter par un rouleau de l’Atlantique, sans dessus-dessous.
Elle a campé près du lac entre Suisse et France,
y a forgé des souvenirs de vacances.
Ailleurs elle a joué avec du sable lourd d’eau salée. La roue du moulin tournait, tournait.
Elle a bu la tasse dans la deuxième piscine, celle des maux de ventre.
Elle a regardé les éclairs derrière le velux et écouté les grêlons rebondir dessus.
Elle a marché sous des pluies diluviennes.
Les mares ont traversé ses bottes trouées.
Dans une cabine téléphonique, elle a écrit un poème sur une tempête de novembre.
Elle a pleuré son mal-être adolescent les cheveux gorgés de pluie.
Elle a descendu un « barrage » en canoë, et s’est retournée.
Elle a peint un seul tableau, on y reconnaît la rivière.
Elle a fait du pédalo sur le plan d’eau.
Elle a parcouru le ponton à Deauville, le regard porté sur l’horizon.
Elle a conduit sous des trombes et flotté quelques secondes.
Elle a vu naître, grandir et s’éteindre son premier amour sur les berges de la rivière.
Elle a attendu au pied d’un lac, il n’est jamais venu.
Elle a patienté sous un porche que l’averse passe.
Elle a ramé sous des maisons en bateau pneumatique.
Elle a arpenté les quais de Seine.
Elle a erré sur l’île Saint-Louis, celle de la Cité, l’île Versailles, celle de Batz.
Elle a surplombé, à Nazaré, au Cap Gris-Nez et Étretat les paysages maritimes à perte de vue.
Elle a chanté sur scène la plage de De Panne en hiver ;
elle y avait vu, en été, le rayon vert.
Elle a rêvé quelques jours au bord de la Méditerranée sans vraiment la rencontrer.
Elle a pris le bac en Normandie et en Bretagne aussi.
Elle a traversé le Tage pour rendre visite, pour écouter de la musique, pour le plaisir du passage.
Elle l’a longé, ce fleuve si large qu’on le surnomme « la mer ».
Elle a nagé nue dans un lac près de la frontière espagnole
et toute habillée dans la mer : maillot oublié.
Elle a bu avidement l’eau à d’innombrables fontaines.
Elle a surplombé le rû de Tromelin, assise sur une branche de saule.
Elle a trempé les pieds dans l’eau des rivières de plages.
Elle a écouté le ressac l’apaiser.
Elle a rêvassé devant les reflets ribariens de nombreux feux d’artifice.
Elle a respiré aux rythmes des rivières et des îles nantaises.
Elle a serpenté avec le Drac et l’Isère.
Elle a vogué sur plusieurs rivières, sur la Manche, et à l’extrême Ouest de l’Europe ou presque.
Elle a écouté les torrents des Alpes, des Monts d’Arrée, du Dartmoor, de Sintra.
Elle a guetté la légendaire montée au galop de la marée au Mont Saint-Michel.
Elle a dansé sous les premières gouttes des premiers orages d’été.
Elle a regardé longuement l’autre océan, le Pacifique.
Elle l’a longé sur la plage de Santa Monica.
Elle a imaginé l’étendue d’eau à la surface de la Terre
Elle a observé, incrédule, les eaux légendaires du Mississippi.
Elle a goûté aux joies de la crique de Dornes.
Elle a aimé d’une admiration sincère la baie de Morlaix.
Elle s’est prise de vertiges du haut de quelques barrages.
Elle a surplombé les entrelacs de la Sûre.
Elle a regardé le soleil se coucher sur le lac d’Orient. Des grues l’avaient survolé juste avant la tombée de la nuit.
Elle a surpris des flamants s’élançant du lac vers les marécages.
Elle a randonné en suivant le Canal de l’Ourcq.
Elle a cherché des sources.
Elle a foulé la tourbe des marais de Saint-Gond.
Elle s’est imprégnée du crachin sous le ciel Gris-Paris.
Elle a gardé en mémoire les couleurs de la ville sur les trottoirs luisants des pluies d’hiver.
Elle a laissé s’écouler ses soucis sous l’eau de la douche.
Elle y a puisé la force de continuer.
Elle a recréé en songe à de nombreuses occasions des crues, des chemins barrés et des courses contre la montre, pour passer de l’autre côté avant l’inondation.
Elle a placé une casserole en fer dans son jardin pour mieux entendre la pluie jouer.
Elle a regardé la mer au lever, au coucher, s’étaler, monter, descendre, aller et venir, tourbillonner, se soulever, rouler, jaillir en gerbes.
Elle habite là où la rivière ne fait que se deviner.
Elle se ressource aux ondes de partout.
Elle y étanche sa soif de vie et d’éternité.
Elle s’inspire de leurs tumultes, de leurs encyclies, de leurs rides et de leurs calmes plats.
Elle s’oublie dans leur contemplation, portée par leur course immuable.
Portrait U, femme ondine
Kaléidoscopie longitudinale (2021)
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