Regardez-la repérer le livre qui éveille son appétit. Un titre, une couverture, peut-être la confiance en l’auteur ou l’autrice. Elle le flaire, teste le grain du papier, feuillette quelques pages. À peine sortie de la bibliothèque – ou est-ce une librairie ? – elle le dévore, comme ça, publiquement. Elle se jette sans retenue aucune sur le premier paragraphe, sans prendre la peine d’éplucher la préface ni le sommaire. Tout cru !
Elle croque à pleines dents un chapitre, un deuxième. Elle goûte ensuite les mots les uns après les autres, les tourne en bouche. Elle s’imprègne de la saveur des phrases, des parfums qui se répondent. C’est acide, c’est doux, c’est croquant, c’est mou, c’est épicé, par moments un peu fade. Ça la fait planer…
Voyez comme elle est concentrée ; son regard est injecté de sang à force de fixité. Elle n’a pas cligné en plus de dix minutes. Elle avale frénétiquement les pages et finit par les tourner mécaniquement. Lit-elle désormais par habitude ? Peut-être qu’elle doit décélérer avant de pouvoir s’arrêter ? Justement, elle s’arrête.
Observez comme son regard se perd tandis qu’elle avance d’un pas lent, cap sur une destination qu’elle semble avoir oubliée. Les idées, les émotions, les expériences nouvellement vécues tournent désormais en boucle dans son esprit. Elle les passe, les repasse, les ressasse. Déchiquetées à en perdre l’unité de sens, ne restent plus que des impressions.
Elle semble avoir à présent retrouvé ses esprits et vaquer à ses activités habituelles. Le processus de macération peut démarrer. Les micronutriments de ses lectures, exportés dans le jus de son quotidien infusent. La palette de ses pensées se teinte de points de vue inédits. Méthodiquement, silencieusement, son monde se réorganise.
C’est une question de temps à présent. Il y a un moment où il n’y aura plus le livre et elle, le livre qu’elle a lu, elle qui a lu ce livre, il restera tout simplement elle, qui aura métabolisé le livre. Elle l’a fait sien, a rejeté les éléments qui lui sont superflus. Réattribués à leur auteur.ice ou tout simplement évacués sans y penser. À l’œil nu, nulle trace du processus. Elle aura subrepticement conscience de nouvelles connexions.
Et la faim resurgira.
Portrait Y , femme qui lit
Kaléidoscopie instantanée (2021)
Série « en action »
J’adore. C’est tout à fait ce que je ressens lorsque je trouve un nouveau sujet d’intérêt et que je découvre des livres traitant de ce sujet🤭😊
😊 contente que ça résonne ! Je me demande aussi comment ça se traduit dans ta peinture, ce que tu absorbes et fais tienne